Notre corps ne ment jamais

 

 

Alice Miller, psychanalyste, a écrit de nombreux ouvrages sur les causes et les conséquences des mauvais traitements infligés aux enfants. Elle utilise notamment dans « C’est pour ton bien : les mécanismes de la pédagogie noire et les racines de la violence » les termes de « pédagogie noire » pour désigner l’éducation qui a pour but de briser la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant. Elle la dénonce en tant que racine de la violence sociétale et terreau fertile aux idéologies les plus criminelles, dont le nazisme dans les années 1930/1940.

 

 

Dans son ouvrage « Notre corps ne ment jamais » elle explore la manière dont notre corps nous avertit des conséquences de ces maltraitances dont nous avons pu être victimes (physiques et/ou émotionnelles) et qu’il a gardées en mémoire.

 

 

Alice Miller considère notre corps comme un allié pour mettre au jour notre histoire personnelle. Elle oppose la vérité du corps à la raison et à la morale.

 

 

Elle apporte un nouvel éclairage sur la relation que nous pouvons avoir à nos parents et fustige l’idée selon laquelle nous devons honorer et excuser nos parents même quand ceux-ci se sont montrés maltraitants. Au contraire, il est important d’apprendre à écouter notre corps qui nous invite à dire, à exprimer, à sortir les émotions refoulées, et en particulier la colère contre l’irrespect, le chantage émotionnel ou contre toute douleur physique ou morale subie par le petit enfant que nous étions.

 

 

Pour elle « l’amour » qu’éprouve pour ses parents un enfant maltraité n’est certainement pas de l’amour mais plutôt un attachement grevé d’attentes, d’illusions, de dénis et dont la rançon est très élevée.

 

 

On a malheureusement constaté que le prix de cet attachement est payé en premier lieu par les enfants de l’ancienne victime de maltraitances (d’où la reproduction de la violence éducative ordinaire et la difficulté de briser le cercle de cette violence dite éducative) et que les parents qui ont eux-mêmes été maltraités sont comme contraints parfois à élever leurs propres enfants dans le mensonge en leur infligeant ce qui est censé lui “faire du bien”, ignorer pour remettre sur le droit chemin, rabaisser pour casser la volonté trop forte, manipuler sous prétexte de moraliser ...

 

 

L’ancienne victime elle-même paie fréquemment son déni par des ennuis de santé, parce que sa “gratitude” envers ses parents est en contradiction avec ce que sait son corps (« si mes parents ne m’avaient pas frappé, j’aurais mal tourné, “je remercie mes parents de m’avoir punie parce que je suis maintenant bien éduquée »…).

 

 

En thérapie l’accompagnement de ces personnes peut présenter la difficulté que certains thérapeutes restent pris au piège de la morale traditionnelle et que, non conscients des mécanismes de la pédagogie noire, ils préconisent le pardon.

 

 

Le patient peut alors gagner en bien-être à court terme mais il risque de continuer à attendre une hypothétique marque d’affection, d’appréciation, de reconnaissance ou de validation de ses émotions dans un lien toxique, à la fois avec les parents mais et aussi peut-être avec le thérapeute.

Cela se faisant toujours au détriment du corps qui continue inlassablement à proposer son aide en envoyant des signaux...

 

 

Alice Miller met l’accent sur l’importance de pouvoir bénéficier d’un témoin lucide pour l’ancienne victime de maltraitance dans son enfance, c’est-à-dire de bénéficier d’une écoute empathique et bienveillante qui valide les émotions refoulées sur lesquelles le corps attire l’attention. Elle pourra vivre et comprendre sa peur de ses parents (ou des figures parentales) et peu à peu liquider les attachements destructeurs. Elle définit par témoin lucide toute personne, proche ou professionnel, qui connaît les répercussions du manque d’amour authentique et de la maltraitance dans l’enfance.

 

 

La réaction positive du corps ne se fera guère attendre : ses messages deviennent de plus en plus aisés à décoder, ils ne s’expriment plus sous la forme de symptômes énigmatiques.

 

 

Un témoin lucide aide les anciennes victimes à mieux comprendre leurs sentiments qu’elles sont incapables de comprendre par peur et impuissance, héritage de leur histoire personnelle. On retrouve cette idée chez Boris Cyrulnik qui parle quant à lui de “tuteur de résilience”.

 

 

La psychanalyste reconnaît malgré tout la difficulté à comprendre et admettre les informations qu’elle propose car elles sont frappées de tabou et constituent une profonde remise en cause des illusions qui permettent à bon nombre d’entre nous de vivre à peu près normalement (comme quoi il est normal d’aimer et de maltraiter, d’être aimé et d’être maltraité).

 

 

Pourtant, s’éveiller à ces informations en tant que thérapeute, enseignant, avocat et même parent permet de mieux comprendre sa propre vie et d’accompagner d’autres personnes sur ce chemin.

 

 

Selon et à partir de l'ouvrage de Alice Miller, "Notre corps ne ment jamais". 

 

De Ursula Clairet/Sophro-psy.fr